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Semi-conducteurs: Le spectre d’une nouvelle crise plane sur la production automobile

Sous tension entre La Haye et Pékin, le fabricant de semi-conducteurs Nexperia devient l’enjeu d’un bras de fer géopolitique aux lourdes conséquences industrielles. Incontournable dans l’automobile, l’entreprise sino-néerlandaise cristallise les craintes d’une nouvelle crise d’approvisionnement en puces, à l’image de celle qui a paralysé les chaînes de production entre 2020 et 2022.

Peu connue du grand public, Nexperia est pourtant un poids lourd des semi-conducteurs dits « discrets » : diodes, transistors, régulateurs de tension… Autant de composants essentiels dans les véhicules modernes, des feux de freinage aux calculateurs moteur en passant par les systèmes d’aide à la conduite. Fondée aux Pays-Bas et ex-filiale du géant Philips, l’entreprise a été rachetée en 2018 par le groupe chinois Wingtech. Avec plus de 15.000 employés dans le monde, usines aux Pays-Bas, en Allemagne et en Chine, Nexperia fournit des milliards de composants chaque année à des industriels de premier plan. Dans l’automobile, ses clients incluent de nombreux équipementiers européens, et par ricochet, les grands constructeurs du continent. C’est ce positionnement central dans la chaîne de valeur qui fait aujourd’hui de Nexperia un point de tension majeur.

Sécurité nationale contre souveraineté industrielle
Le 10 octobre, le gouvernement néerlandais a invoqué pour la première fois une loi sur la sécurité nationale datant de la Guerre froide pour prendre le contrôle de Nexperia, au nom de la protection des intérêts stratégiques européens. En riposte, Pékin a interdit à l’entreprise d’exporter des marchandises depuis la Chine, fragilisant un pan entier de sa logistique. La réaction des industriels ne s’est pas fait attendre. L’Association des constructeurs automobiles européens (ACEA) a publié un communiqué alarmant : « Sans ces puces, les sous-traitants ne peuvent pas construire les pièces détachées qu’ils livrent aux constructeurs. Cela expose à des arrêts de production. » Les stocks actuels ne permettraient de tenir que quelques semaines.

Le spectre de 2020-2022 refait surface
La menace évoque immédiatement la crise des semi-conducteurs déclenchée par la pandémie, qui avait contraint les constructeurs à annuler des millions de véhicules en production. En 2021, les estimations des pertes pour l’industrie auto mondiale dépassaient les 210 milliards de dollars. Les racines de cette crise résidaient dans la concentration asiatique de la production, combinée à une gestion « juste-à-temps » des approvisionnements. Depuis, l’Europe s’est engagée dans un plan ambitieux — le « Chips Act » européen (43 Mds €) — mais les premières usines ne verront le jour qu’à partir de 2026. En attendant, la dépendance reste forte. Et Nexperia, bien qu’ayant une empreinte industrielle européenne, s’appuie toujours sur des centres de production et d’assemblage en Chine. Sa mise en difficulté intervient donc au pire moment, alors que le secteur tente de regagner en résilience.

Une réponse industrielle encore insuffisante
Les constructeurs disposent certes d’autres fournisseurs, mais pas à volumes équivalents ni dans les mêmes délais. Chaque pièce électronique nécessite une homologation rigoureuse. Ce processus peut prendre entre trois et six mois. En d’autres termes : impossible de remplacer Nexperia du jour au lendemain. Pour les industriels, il devient urgent d’éviter une nouvelle désorganisation des chaînes logistiques, surtout dans un contexte d’électrification accélérée des gammes et de tension sur les matières premières. Comme le souligne l’ACEA, « il faut des solutions rapides et pragmatiques pour tous les pays concernés ».

De l’enjeu industriel au test géopolitique
Ce dossier est symptomatique de l’époque : les considérations géopolitiques pèsent désormais directement sur la continuité industrielle. Nexperia cristallise les contradictions de l’Europe entre volonté de souveraineté technologique et dépendance à la Chine. En agissant unilatéralement, les Pays-Bas ont certes adressé un message de fermeté. Mais au prix d’un choc d’offre potentiel dans toute l’Europe. L’affaire dépasse largement le cas d’un fournisseur parmi d’autres. Elle interroge la capacité du continent à sécuriser ses chaînes de valeur stratégiques, en particulier dans les technologies embarquées et l’automobile. Elle rappelle aussi que l’indépendance industrielle ne se décrète pas : elle s’organise.

Avec agences


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