Gigafactory. Maria Ouazzani Chahdi : la team Maroc fait valoir les atouts du Royaume
Maria Ouazzani Chahdi
Cheffe de département automobile au sein de l’AMDIE
Le Maroc affiche ses ambitions dans l’industrie automobile. Le Royaume prévoit de battre un nouveau record de ses exportations en la matière, à plus de 140 MMDH, en 2023. Et les années prochaines devraient suivre la même tendance. Le pays est prêt à relever les défis qui se dressent face au secteur, comme la décarbonation et l’électrification. Justement, l’industrie automobile marocaine se positionne pour en maîtriser toute la chaîne de valeur jusqu’à l’installation de Gigafactory pour la fabrication de batteries à travers le monde. Maria Ouazzani Chahdi, cheffe de département automobile au sein de l’AMDIE, évoque dans cet entretien la démarche du team Maroc pour convaincre les mastodontes de la Team Maroc à faire du Royaume leur base d’opérations.
Comment se sont opérées les stratégies et les actions de démarchage des acteurs majeurs de l’industrie des Gigafactory à travers le monde ?
Nous avons principalement basé notre stratégie sur les besoins du marché, celui du Royaume du Maroc à travers les deux constructeurs automobiles y opérant mais aussi l’international. L’offre Maroc fait aujourd’hui beaucoup de sens pour les acteurs de la chaîne de valeur de la batterie pour véhicules électriques. D’ailleurs, c’est ce que nous appelons le Momentum Maroc ou «Morocco Now». Il y a une grande adéquation entre les attentes des investisseurs et notre offre de valeur. Un travail de fond a été opéré à notre niveau afin d’identifier, qualifier et démarcher de potentiels investisseurs dans ce segment. Une fois cela réalisé, des réunions de haut niveau ont été tenues avec les leaders mondiaux dans ce segment pour mieux comprendre leurs plans d’expansion mais aussi faire la promotion de la destination Maroc.
Cette dernière combine un ensemble d’avantages compétitifs tels que la disponibilité de certaines ressources naturelles (phosphate, manganèse, cobalt), le coût extrêmement compétitif de l’énergie verte, la main-d’œuvre qualifiée et disponible dans les différentes régions du Royaume et finalement le système incitatif moderne et transparent porté par la nouvelle charte de l’investissement.
A cette offre de valeur qui a déjà fait ses preuves dans le segment du véhicule thermique, s’ajoute le rôle clé de la Team Maroc dans l’accompagnement de bout en bout, le conseil et l’octroi de subventions à l’investissement de ces différents projets d’envergure. Nous avons aussi fait un travail de coordination entre les différents intervenants (publics et privés) afin de pouvoir matérialiser les projections de ces investissements jusque-là inédit au Royaume (recherche du foncier adéquat, financement des projets, sourcing local, accompagnement dans leurs besoins en recrutement, etc).
Par ailleurs, nous avons aussi géré les négociations encore une fois avec les différentes parties prenantes afin d’offrir le meilleur soutien possible de la part de l’Etat. Tous ces éléments nous ont permis de démarcher des acteurs de premiers plans au niveau mondial et d’intégrer la chaîne de valeur complète permettant de verticaliser la production d’une batterie de véhicule électrique au Maroc qui permettra aux constructeurs automobiles locaux et dans l’UE de bénéficier d’un écosystème compétitif.
Comment l’arrivée de ces nouveaux acteurs permettra d’augmenter l’intégration actuelle et de consolider le secteur automobile au Maroc ?
Etant donné les réglementations mises en place récemment, la Gigafactory est un élément central dans le développement du secteur de l’Automobile dans le monde. Pour le Royaume du Maroc, ce nouveau segment nous permettra d’assurer la viabilité du secteur et de pérenniser les emplois crés. Nous n’avions pas eu l’opportunité de démarcher des producteurs de moteurs thermiques lors de l’implémentation du secteur automobile entamé en 2012 avec Renault, car l’industrie des moteurs était déjà bien implantée, en particulier en Europe, sans parler des capacités installées importantes non utilisées dans cette même région.
Dans le cas des batteries pour VE, c’est une chance unique qui se présente à nous de concrétiser des investissements dans ce cycle initiale de lancement de cette nouvelle technologie et venir compléter le principal maillon manquant, sachant que celui-ci représente près de 35 à 40% du coût du véhicule électrique. Il est à noter que nous nous attaquons à un tout nouveau segment qui touche différents secteurs en plus de celui de l’automobile.
En effet, l’électronique, la chimie, les mines et l’énergie sont des secteurs concernés par la mobilité électrique. Le momentum relatif à la batterie pour véhicules électriques prend tout son sens, car les capacitaires se négocient dès aujourd’hui pour des livraisons à l’horizon 2027-2028. C’est pour cette raison que nous nous positionnons d’ores et déjà sur ce segment d’avenir qui, à terme, va se substituer au segment du thermique.
Comment les constructeurs automobiles présents au Maroc s’apprêtent-ils à passer le cap de l’électrification ?
Les constructeurs automobiles basés au Maroc exportent 95% de leur production, principalement vers les pays de l’Union européenne. La réglementation mise en vigueur interdira, à partir de 2035, la mise en circularisation de véhicules à moteurs thermiques.
Par conséquent, la quasi-totalité des véhicules assemblés au Maroc, à partir de la fin de cette décennie, seront électriques (exceptés les véhicules produits pour le marché local ou pour certains pays émergents, comme l’Inde, le Brésil et les pays africains). En conclusion, les constructeurs automobiles locaux n’auront pas d’autres choix que de s’adapter et de se transformer pour répondre aux exigences règlementaires qui leur sont imposées. D’où notre volonté de développer le segment du véhicule électrique et l’implantation d’une ou deux Gigafactories afin de pérenniser, voire augmenter la production de véhicules au Maroc.
Avec cette nouvelle vague d’investissement, a-t-on atteint nos objectifs en termes de réalisation ?
Non, bien évidemment. Il nous reste encore d’autres commodités et technologies à démarcher qui sont nécessaires pour compléter notre écosystème automobile tant dans le segment du thermique que de l’électrique. A côté de cela, nous réalisons des efforts importants pour attirer et démarcher si possible un 3e constructeur automobile au Maroc. Notre objectif est d’atteindre une production de 1,5 million de véhicules par an à l’horizon 2030.
A quel horizon pourra-t-on atteindre le million de véhicules produits au Maroc ?
La Gigafactory et son écosystème complet devrait nous permettre d’atteindre cet objectif dans un délai à moyen terme. C’est un élément clé pour un constructeur automobile de considérer une destination et de se savoir installé à proximité d’une Gigafactory et d’un réseau d’équipementiers internationaux de premier plan. Il faut savoir que le Royaume du Maroc a su développer en deux décennies un des écosystèmes parmi les plus performants de la région.
La chaîne de valeur du secteur est aujourd’hui relativement dense avec plus de 260 équipementiers internationaux dont 30 figurent dans le top 100 mondial. Nous assistons aussi aujourd’hui à l’émergence de champions nationaux qui s’imbriquent dans cet écosystème et fournissent directement les deux constructeurs installés au Royaume du Maroc. Nous avons aussi l’ambition de faire émerger des acteurs locaux sur les différents maillons de la chaîne de valeur de la batterie pour augmenter la valeur ajoutée locale et aussi permettre la montée en gammes des industriels nationaux.
Le Maroc peut rêver en grand, en quelques décennies nous avons réussi à bâtir une industrie automobile parmi les plus développée de la région EMEA et sommes aujourd’hui producteurs des deux best-sellers européens que sont la Dacia Sandero et la Peugeot 208.
Moulay Ahmed Belghiti / Les Inspirations ÉCO AUTOMOBILE