Immersion : au cœur de la machine BMW à Munich

Dans une industrie de plus en plus dominée par les constructeurs chinois, le géant automobile bavarois mise tout sur la maîtrise du génie industriel, comme facteur clé de différenciation. Depuis son site intégré à Munich où l’automatisation tutoie l’extrême, la marque à l’hélice poursuit sa transition vers l’électrique. Reportage.
Munich, siège mondial de BMW, sise Petuelring 130. Il est 10 heures. Sous un ciel cotonneux, une cohorte de journalistes s’apprête à s’engouffrer dans le cœur névralgique du géant automobile bavarois. Le temps d’une halte devant l’icône du groupe, caméras et regards se tournent vers le siège emblématique du constructeur à l’hélice bleue, une tour de vingt-deux étages conçue pour évoquer la forme de quatre cylindres d’un moteur.
L’édifice, imaginé par l’australien Karl Schwanzer, figure majeure de l’architecture d’après-guerre, communique avec le «BMW Museum» reconnaissable à sa forme de bol visible depuis le ciel. Sous sa coupole argentée, le musée retrace l’histoire vivante de la marque, depuis ses origines dans l’aviation jusqu’aux récentes innovations dans la mobilité électrique. Non loin de là, le centre de R&D, vitrine technologique du pionnier du haut de gamme automobile, qui a vu passer Karim Zidane, aujourd’hui ministre délégué chargé de l’Investissement, de la Convergence et de l’Évaluation des politiques publiques, lors de ses années au sein de BMW.
C’est aussi dans ces couloirs qu’une forte communauté bien établie a contribué à la création du réseau de compétences germano-marocain, réunissant la fine fleur de l’ingénierie nationale en Allemagne. Avant dernière étape du parcours, le «BMW Welt», vaste centre d’expérience et de livraison, situé à quelques pas du siège.
Ce grand bâtiment transparent, reconnaissable à son spectaculaire double cône de verre et d’acier, accueille concerts, expositions et cérémonies de remise des clés, où les clients assistent au reveal de leur bolide flambant neuf émergeant lentement d’un ascenseur de verre. Quelques mètres plus bas, les modèles sont stockés dans une unité de rangement entièrement automatisée. Un espace hermétique, confié à l’automatisation où l’oxygène est maintenu à un niveau équivalent à «une altitude de 3.000 mètres pour prévenir tout risque d’incendie».
Site intégré
Notre cohorte est invitée, ensuite, à pénétrer dans l’antre du géant allemand pour sonder la mécanique de cet empire industriel. La visite coïncide avec le shift du milieu de journée. Une armée de travailleurs quittent la chaîne, tandis que d’autres prennent le relais. Environ 7.000 employés gagnent chaque jour l’usine, maintenant le fonctionnement de cette ruche industrielle qui a pour particularité d’être encastré dans un tissu urbain particulièrement dense, où le mètre carré se négocie au prix fort.
«L’unité industriel est aujourd’hui situé en pleine ville, ce qui empêche toute extension en surface en cas de besoin, d’où le choix de développer la production en hauteur», glisse le responsable en charge de la visite, et de préciser que cette verticalité n’a rien d’une coquetterie architecturale, mais répond à une contrainte de rareté du foncier.
Ce site intégré, construit en hauteur, réparti sur six niveaux reliés entre-eux par un réseau de passerelles et de lignes suspendues, concentre pourtant un flux continu d’opérations à même de porter la production jusqu’à 800 véhicules par jour ! Une fois franchies les portes de l’usine, le regard se perd dans le ballet mécanique des bras robotisés qui s’animent à l’unisson.
«La production combine l’automatisation de précision et l’intervention humaine à des postes clés», nous explique t-on.
Les opérations répétitives (soudure, rivetage, collage) sont réalisés par des robots industriels, des bras articulés suisse (ABB) et ou encore chinois (KUKA). Mais le “know-how” germanique réside dans le fait de faire communiquer ses machines entre elles.
Les opérateurs humains, eux, interviennent sur les points de contrôle et les ajustements plus fins. À chaque maillon de la chaîne, des mesures laser garantissent la conformité géométrique des caisses. Ce contrôle permanent rappelle l’exigence du label «premium» qui fait de la rigueur et de la qualité d’exécution une priorité absolue.
Just in time
L’architecture de l’usine impose, certes, une organisation d’une précision presque chorégraphique. Quoique d’un point de vue purement logistique, le site fonctionne en «juste à temps» (just in time), méthode de gestion de la production industrielle à flux tendus qui consiste à minimiser les stocks.
«C’est le client qui déclenche le début de fabrication d’un véhicule», résume d’emblée le représentant de l’usine.
D’où l’absence de zones de stockage. En effet, les pièces arrivent sur la ligne au moment où elles sont nécessaires. A l’exception de l’atelier d’emboutissage où la production s’opère par lots (batches) et qui nécessite un minimum de stockage pour maintenir leur rendement maximal.
«Ce stock intermédiaire ne sert pas directement l’assemblage, mais régule l’amont, évitant ainsi les ruptures de flux sur la ligne de production», fait valoir notre interlocuteur sur place.
À la politique du zéro stock s’ajoute la polyvalence des lignes de production. Une même ligne d’assemblage peut fabriquer plusieurs modèles à la suite — un véhicule thermique, suivi d’un hybride, puis d’un électrique. Cette flexibilité repose sur un logiciel centralisé qui orchestre en temps réel les bras articulés et les convoyeurs.
Chaque véhicule est doté d’un identifiant numérique unique — une build sheet — qui précise, à chaque poste de la chaîne, les opérations à réaliser. Lorsque qu’un modèle électrique succède à un thermique, les systèmes ajustent en temps réel les outils et la cadence, tandis que les pièces livrées en juste-à-temps s’adaptent automatiquement à la configuration du véhicule.
Cette automatisation poussée permet aux différentes unités de produire, sur une même ligne, aussi bien une i4 électrique qu’une 3 Series thermique, sans interruption du flux. Ce système de production rompt avec la cadence monotone des lignes classiques.
Ainsi, l’opérateur ne répète plus mécaniquement les mêmes gestes dans la mesure où c’est la ligne qui lui indique, en temps réel, la tâche à exécuter selon le véhicule qui se présente devant lui. Ce mode d’organisation confère à cette fabrique plusieurs avantages compétitifs, à commencer par la réactivité.
La production peut, en effet, être ajustée selon la demande du marché, en augmentant par exemple la part de véhicules électriques sans devoir reconfigurer l’ensemble du dispositif. A cela s’ajoute l’optimisation de la chaîne de valeur qui permet de réduire sensiblement les coûts. Une seule ligne implique moins d’investissements en machines et en surface, et limite les temps d’arrêt liés au lancement d’un nouveau modèle.
Marché ultra-compétitif
L’efficacité énergétique s’impose également comme un argument à part entière de la performance industrielle. Le site munichois achète son électricité auprès de fournisseurs d’origine renouvelable et vise à accroître la part «verte» de son mix énergétique pour se mettre au diapason d’un marché mondial ultra-compétitif. Car la référence n’est plus seulement européenne, elle est aussi asiatique, dominée par les filières chinoises, hautement intégrées, et par la baisse continue des coûts des batteries.
L’Agence internationale de l’énergie (AIE) observe que les ventes mondiales de voitures électriques ont dépassé 17 millions en 2024 et que le premier trimestre 2025 a établi de nouveaux records dans les grands marchés, plaçant l’année sur une trajectoire au-delà de 20 millions d’unités.
Dans ce contexte, BMW réoriente le site de Munich vers une production entièrement électrique d’ici fin 2027, en mobilisant près de 650 millions d’euros pour recalibrer son outil industriel. Une transition que l’Allemagne aborde, pourtant, avec prudence, soucieuse de ne pas tourner trop vite la page des autres motorisations.
Rappelons qu’à Bruxelles, Berlin a obtenu une dérogation pour les e-fuels dans le cadre de l’échéance 2035, et le débat national défend des trajectoires plus souples où hybrides et carburants de synthèse conservent une place, le temps que la promesse du tout-électrique s’ajuste à la réalité industrielle.
Une ligne de production hybride
Sur la ligne de montage de l’usine bavaroise, plusieurs modèles cohabitent sur un même convoyeur. Une berline thermique, une version hybride, puis une i4 électrique s’y succèdent au milieu du ballet mécanique animé par des bras robotisés.
Ce principe, connu dans l’industrie sous le nom de mixed-model assembly line, permet de produire plusieurs modèles sur une seule ligne de production sans rupture de flux. En effet, chaque véhicule porte un identifiant numérique qui indique en temps réel la séquence des opérations, de l’outillage aux pièces, jusqu’au phrase de contrôle.
Dans un site industriel à production superposée, où chaque mètre carré compte, cette flexibilité offre la possibilité d’adapter les volumes à la demande, électrique ou thermique, tout en optimisant l’espace et la logistique. Les stocks intermédiaires sont réduits au strict minimum et la production s’alimente d’un flux continu de composants, faisant du site bavarois l’un des plus agiles de l’industrie automobile européenne.
DNES à Munich, Ayoub Ibnoulfassih / Les Inspirations ÉCO







