Cote officielle : le must-have pour structurer le marché

Alors que la digitalisation des mutations et le partage de données progressent, le Maroc reste sans référentiel national de valorisation des véhicules d’occasion. Entre régulation publique et autorégulation du marché, la question d’une cote officielle s’impose comme le prochain chantier de structuration du secteur.
Le Maroc a franchi une étape majeure dans la modernisation du marché du véhicule d’occasion. Depuis 2023, la NARSA a dématérialisé une grande partie du processus de mutation et renforcé la traçabilité des transactions. Pourtant, le marché continue d’évoluer sans cote nationale officielle capable d’encadrer la valorisation des véhicules.
Bennacer Boulaajoul, directeur général de la NARSA, reconnaît sans détour que cette absence «crée une opacité sur les prix, au détriment de la transparence et de la confiance entre les acteurs».
Selon lui, un référentiel public de valorisation, à l’image de l’Argus en Europe, permettrait de standardiser les valeurs selon des critères objectifs : âge, kilométrage, état général, motorisation. La NARSA envisage ce chantier comme une prochaine étape de structuration, à développer «en concertation avec les professionnels du secteur, les assureurs, les concessionnaires et les autorités fiscales».
L’institution plaide pour un cadre de référence commun
Pour la NARSA, la digitalisation du processus administratif ne suffit pas à garantir la transparence du marché. Le régulateur estime qu’un outil de valorisation officiel renforcerait la protection des consommateurs et la crédibilité des transactions.
Dans sa vision, une cote nationale deviendrait un instrument de régulation, au même titre que le contrôle technique ou la certification de propriété. Mais la création d’un tel référentiel suppose un préalable essentiel : la disponibilité de données fiables et partagées. C’est tout l’enjeu de l’interconnexion que l’agence a entamée avec la DGI, la TGR, les assurances et les sociétés de financement, pour construire une base de données consolidée sur le cycle de vie des véhicules.
Un marché déjà autorégulé
Sur le terrain, les professionnels saluent l’idée mais relativisent son urgence. Pour Abdelouhab Ennaciri, président de l’AIVAM, l’absence d’une cote officielle «n’est pas un frein majeur». Le marché marocain, selon lui, «s’autorégule selon la loi de l’offre et de la demande», notamment sous l’effet de la hausse du prix du neuf, qui a mécaniquement relevé la valeur de l’occasion.
Plus que la mise en place d’un barème officiel, l’essentiel, insiste-t-il, est d’assurer la fiabilité de l’information et la traçabilité du véhicule. Cette position illustre une ligne pragmatique : plutôt que d’imposer une grille nationale, les professionnels plaident pour une meilleure circulation de l’information entre acteurs. Une condition nécessaire à un marché sain et fluide.
La fiabilité de la donnée, préalable incontournable
Plusieurs opérateurs estiment qu’avant d’envisager une cote nationale, il faut d’abord fiabiliser la donnée automobile. «Certains acteurs ont tenté d’établir des cotes marché, mais elles reposent souvent sur du déclaratif», note Ziyad Kalam, directeur de l’activité VO chez Stellantis.
Une observation partagée par Sanaa Zagouri, directrice générale d’Autoccaz, qui souligne que «les estimations varient selon les outils existants, ce qui crée parfois des écarts notables». Tous deux convergent sur un point : un référentiel n’a de sens que s’il repose sur des données massives, vérifiées et actualisées, intégrant des critères objectifs comme l’âge, le kilométrage, l’historique d’entretien ou les sinistres.
Le Maroc dispose déjà, via la NARSA et ses partenaires institutionnels, des bases pour construire un tel socle. Encore faut-il que les flux de données entre acteurs publics et privés soient totalement interopérables.
L’absence de référence alimente les disparités
Faute d’un cadre commun, la fixation des prix reste très subjective. Hajar Bababrik, directrice de JLR, estime que «l’absence d’une cote officielle reste un frein majeur à la transparence». Elle rappelle que le retrait d’Argus Maroc a laissé le marché sans repère, alors que ce projet visait précisément à établir une cote locale adaptée au contexte national.
Sans référence partagée, les négociations deviennent plus complexes, et les écarts de valorisation entre régions ou entre circuits formels et informels se creusent. Résultat : les acheteurs se sentent souvent désavantagés, et les vendeurs manquent de repères fiables.
Des acteurs qui pallient le vide par des outils internes
En l’absence d’un référentiel officiel, certains constructeurs développent leurs propres méthodologies de cotation. Chez Kia Occasion, Rhita Chahir, directrice de l’activité VO, a mis en place un système fondé sur trois piliers : un expert VO dédié dans chaque point de vente, une équipe de coteurs expérimentés et une base de données interne de plus de cinq ans, alimentée par plus de dix mille évaluations.
Ce dispositif permet de garantir «un rachat au juste prix» et de maintenir la confiance des clients. Mais pour elle aussi, la création d’une cote nationale institutionnelle reste indispensable pour harmoniser les pratiques et renforcer la transparence du secteur. Même constat chez Toyota Occasions. El Mahdi Moukni, son directeur VO, rappelle que depuis le retrait de l’Argus, «aucun acteur n’a pris officiellement le relais».
Cette absence de référentiel, explique-t-il, entraîne des écarts entre la valeur réelle d’un véhicule et son prix affiché, compliquant les transactions pour les particuliers comme pour les institutions financières. Un retour à une cotation rigoureuse et adaptée au contexte marocain constituerait, selon lui, «un levier majeur de professionnalisation du marché».
Un chantier complexe mais structurant
Tous les acteurs convergent sur le fait que la création d’une cote nationale est nécessaire, même si sa mise en œuvre risque d’être complexe. Khaled Salim, directeur général de GlobalOccaz, rappelle que l’industrie automobile mondiale traverse une période de mutation profonde : électrification, évolution des motorisations, volatilité de l’offre et de la demande. Autant de paramètres qui compliquent la définition d’un modèle de décote stable et durable. Au Maroc, où la demande pour le diesel reste forte, la construction d’un référentiel devra tenir compte des spécificités locales et de la diversité du parc.
Vers une transparence à bâtir collectivement
En filigrane, la question de la cote dépasse la seule tarification : elle touche à la maturité du marché et à la confiance des consommateurs. Tous s’accordent à dire qu’un référentiel national ne se décrète pas, mais se construit collectivement, sur des bases techniques solides et un partage de données effectif. La NARSA a ouvert la voie avec la digitalisation des procédures.
L’étape suivante pourrait être la création d’un outil de valorisation public, co-construit avec le secteur, pour achever la structuration du marché de l’occasion. En attendant, comme le résume un professionnel, «le marché fonctionne, mais à vue» entre autorégulation pragmatique et quête d’une transparence encore incomplète.
Moulay Ahmed Belghiti / Les Inspirations ÉCO
 
				






