Abdelouahab Ennaciri : “Le véhicule d’occasion est un levier stratégique de la mobilité au Maroc”

Abdelouahab Ennaciri
Président de l’AIVAM
Le président des importateurs de véhicules au Maroc (AIVAM) plaide pour une digitalisation accélérée, une régulation plus juste et une montée en puissance des opérateurs structurés pour faire du véhicule d’occasion un moteur durable de l’économie nationale.
Quelle est l’importance stratégique du développement du secteur des véhicules d’occasion au Maroc ?
Le véhicule d’occasion est un secteur vital pour la mobilité et l’économie nationales. C’est un marché dynamique, en croissance continue au niveau mondial, et dont la résilience dépasse les fluctuations du marché du neuf. Au Maroc, le segment de l’occasion est estimé à trois fois la taille du marché du neuf, ce qui en fait un pilier économique majeur.
Il favorise l’accès à la mobilité à moindre coût, tout en stimulant indirectement le marché du neuf, puisque de nombreux acheteurs de véhicules neufs revendent leurs anciens modèles. Au-delà de la mobilité individuelle, le VO soutient l’activité économique locale, souvent informelle, en générant des emplois dans la vente, la maintenance et l’après-vente.
Quel topo feriez-vous sur ce segment?
Le marché de l’occasion est, par nature, fragmenté et dominé par les petits revendeurs indépendants ou les transactions entre particuliers. En Europe, même les vingt plus grandes plateformes ne représentent que 10% des ventes totales. Au Maroc, la situation est encore plus marquée : moins de 1% des transactions passent par des opérateurs structurés, qu’ils soient liés à des distributeurs de véhicules neufs ou totalement indépendants. Le reste demeure entre les mains du secteur informel.
Cette opacité du marché engendre des pratiques trompeuses : falsification du kilométrage, absence d’historique clair, vices cachés… Ce manque de transparence nuit à la confiance des acheteurs et cause des pertes fiscales importantes pour l’État. À l’inverse, les acteurs structurés garantissent aujourd’hui la traçabilité des véhicules, offrent des garanties et s’acquittent de leurs impôts. Il est donc dans l’intérêt public d’encourager ces acteurs à prendre plus de parts de marché.
Pourquoi le marché n’arrive-t-il pas à se structurer ?
Les opérateurs ont compris depuis plusieurs années l’importance stratégique du VO et ont investi dans des plateformes digitales et des infrastructures physiques. Mais le secteur reste freiné par trois grands obstacles. Le premier est réglementaire : aujourd’hui, un revendeur informel peut vendre une voiture avec un kilométrage modifié ou des vices cachés, sans recours pour le client.
L’absence d’un cadre clair fragilise la confiance. Le deuxième est fiscal : de nombreux acteurs informels échappent à toute taxation, alors qu’ils réalisent des volumes considérables. Les opérateurs déclarés se trouvent ainsi en concurrence déloyale avec des revendeurs non fiscalisés.
Enfin, le troisième est opérationnel : le processus de mutation reste complexe, chronophage et coûteux. Une digitalisation complète des procédures est nécessaire pour fluidifier les transactions et encourager les acteurs professionnels.
Quid du processus actuel de mutation?
Aujourd’hui, la mutation exige une série d’étapes administratives lourdes : visite technique, légalisation de l’acte de vente, paiement des frais d’enregistrement et dépôt du dossier à Barid Bank, souvent dans la journée. Pour les revendeurs structurés, le processus est encore plus contraignant puisqu’il faut effectuer deux mutations : une première à l’achat et une seconde à la revente. Cela entraîne des coûts supplémentaires et rallonge les délais. De plus, la règle imposant que le dossier soit déposé dans la ville de résidence de l’acheteur limite la mobilité géographique du commerce automobile. Ces freins logistiques pèsent lourdement sur les professionnels.
La digitalisation menée par la NARSA peut-elle changer la donne ?
Absolument. La NARSA a entrepris un vaste chantier de digitalisation des procédures, qui englobe la mutation des véhicules d’occasion. Certaines composantes sont déjà opérationnelles, et la phase dédiée au VO devrait l’être prochainement.
L’AIVAM travaille en étroite collaboration avec la NARSA pour que cette transformation prenne en compte les contraintes du terrain et favorise l’efficacité. La digitalisation apportera une plus grande transparence, une traçabilité renforcée et permettra d’identifier clairement les acteurs du marché. Elle constitue une étape clé vers une structuration durable et équitable du secteur.
Malgré ces avancées, l’informel reste dominant. Est-ce une fatalité ?
L’informel fera toujours partie du paysage, car le VO repose naturellement sur des transactions entre particuliers. Le but n’est pas de le supprimer, mais d’augmenter la part des transactions formelles. Nous visons à passer de 1% aujourd’hui à 5%, puis à 10% dans les prochaines années.
Pour y parvenir, il faut réglementer la relation revendeur-client, sanctionner les pratiques trompeuses et assurer une égalité fiscale entre acteurs. Les opérateurs structurés doivent également innover : en digitalisant l’expérience client, en créant des labels qualité et certifications, et en développant des solutions de financement adaptées, car l’accès au crédit reste limité. Aujourd’hui, près de 60% des ventes de voitures neuves se font à crédit ; il n’y a aucune raison pour que le marché de l’occasion n’en bénéficie pas également.
L’absence d’une cote officielle freine-t-elle la transparence du marché ?
Une cote nationale apporterait sans doute une meilleure visibilité, mais son absence n’est pas un frein majeur. Le marché s’autorégule selon la loi de l’offre et de la demande, et les professionnels échangent déjà leurs référentiels. Les hausses récentes des prix du neuf ont mécaniquement fait progresser la valeur des véhicules d’occasion. L’essentiel est donc d’assurer la fiabilité de l’information et la traçabilité du véhicule, plus que la simple existence d’un barème officiel.
Comment voyez-vous l’avenir du secteur ?
Il est très prometteur. Le marché du véhicule d’occasion répond à un besoin réel de mobilité et à une demande en pleine expansion. Sa croissance sera portée par la digitalisation, l’émergence de nouvelles motorisations et l’évolution des usages. Les opérateurs capables de miser sur la transparence, la qualité de service et l’innovation récolteront les fruits de cette transformation. Le Maroc a tout à gagner à faire du véhicule d’occasion un secteur formel, crédible et porteur de croissance durable.
Moulay Ahmed Belghiti / Les Inspirations ÉCO
 
				






