Digitalisation/VO : la réforme numérique se fait toujours attendre

La réforme numérique du marché des véhicules d’occasion, pilotée par la NARSA, suscite un large consensus sur sa pertinence. Mais sa mise en œuvre reste partielle, freinée par des retards techniques et une coordination encore inégale entre les acteurs publics et privés.
Depuis 2023, la NARSA (Agence nationale de la sécurité routière) a engagé une refonte en profondeur du processus de mutation des véhicules d’occasion. L’agence a déployé le portail de mutation des véhicules et un système de contrôle technique en temps réel, deux instruments présentés comme les piliers d’une transformation structurelle du marché. L’objectif est de simplifier les démarches, réduire les délais, et garantir la transparence des transactions.
«Aucune mutation n’est possible si le véhicule fait l’objet d’une opposition émanant d’une administration ou d’une juridiction», rappelle Bennacer Boulaajoul, directeur général de la NARSA.
Grâce à la dématérialisation, les usagers peuvent désormais suivre leurs démarches en ligne et accéder à des informations vérifiées sur les véhicules proposés à la vente. La réforme repose aussi sur l’échange automatisé de données entre la NARSA et plusieurs institutions : la Direction Générale des Impôts, la Trésorerie Générale du Royaume, le ministère de la Justice, les corps de contrôle, les centres de contrôle technique et les compagnies d’assurances. Un projet d’interconnexion avec les sociétés de financement est en cours afin de sécuriser les ventes de véhicules à crédit.
Un dispositif salué, mais encore inachevé
Si la vision est largement partagée, la mise en œuvre demeure incomplète. Le système centralisé censé gérer l’ensemble des mutations n’est pas encore pleinement fonctionnel. «Le système est toujours en cours de développement», constate Adil Bennani, directeur général d’Auto Nejma.
Selon lui, son déploiement permettra de lever les freins administratifs liés aux doubles mutations et de fluidifier le processus d’achat-revente. Ce retard technique, que plusieurs opérateurs qualifient de «phase d’ajustement», retarde la bascule vers un marché totalement digitalisé. Le système intégré d’immatriculation, actuellement en test avec les membres de l’AIVAM et du GPLC, doit permettre d’unifier les procédures entre administrations et professionnels.
Des acteurs économiques en attente de fluidité
Pour les représentants du secteur, la réforme constitue un tournant stratégique, mais elle doit se traduire par des résultats concrets. Le président de l’AIVAM, Abdelouhab Ennaciri, y voit une «étape clé vers une structuration durable et équitable du marché». Il souligne toutefois l’importance de tenir compte des contraintes du terrain pour que la digitalisation produise pleinement ses effets.
Même constat chez Ziyad Kalam, directeur de l’activité VO chez Stellantis, pour qui la plateforme mise en place a «renforcé la sécurité des transactions et réduit les délais», même si l’accès aux services reste inégal selon les régions. Les professionnels plaident pour une mise en œuvre uniforme sur le territoire et une meilleure coordination entre les institutions concernées.
L’informel, une résistance persistante
Au-delà des aspects techniques, la réforme s’attaque à une réalité plus profonde : le poids du secteur informel. Les ventes par procuration, souvent utilisées pour contourner les droits de mutation, continuent de représenter une part importante du marché. Bennacer Boulaajoul reconnaît que cette pratique «fragilise la transparence et la sécurité juridique des transactions».
Pour y remédier, la NARSA agit sur plusieurs leviers : simplification des démarches, sensibilisation du public et encadrement des intermédiaires. Des mécanismes de certification et d’agrément sont en préparation pour inciter les vendeurs et acheteurs à passer par les circuits formels. Les acteurs privés, eux, insistent sur la nécessité d’une cohérence globale. «Action coordonnée entre institutions publiques et entreprises, le marché informel continuera de dominer», alerte Khaled Salim, directeur général de GlobalOccaz.
Un cadre réglementaire en évolution
La réforme s’accompagne de nouveaux textes. Un décret adopté le 25 juin 2025, en attente de publication au Bulletin officiel, autorise désormais l’immatriculation d’un véhicule dans la ville de l’acheteur ou du vendeur, et non plus seulement à l’adresse du propriétaire initial.
Cette mesure, selon Adil Bennani, « permettra de fluidifier le processus d’achat-revente et de lever des freins administratifs anciens». La NARSA prévoit également d’ouvrir son nouveau système d’immatriculation à tous les professionnels de la vente automobile, y compris ceux du véhicule d’occasion. Ce dispositif, actuellement en phase de test, sera déployé progressivement.
Vers une nouvelle culture de la transaction automobile
La digitalisation ne représente pas seulement une modernisation administrative : elle traduit un changement de culture économique. «Le marché de l’occasion entre dans une ère de traçabilité et de professionnalisation», estime Thibault Paland, directeur général de Renault Commerce Maroc, qui y voit l’opportunité d’instaurer «des standards de qualité et de transparence comparables à ceux du neuf».
Pour Hajar Bababrik, directrice de JLR, cette mutation doit s’accompagner d’«incitations fiscales et d’un meilleur accès au financement» pour encourager la formalisation. Même approche pour Rhita Chahir, directrice de Kia Occasion, qui considère que la digitalisation «pose les bases d’une transformation structurelle du marché».
Une réforme encore à consolider
La NARSA a initié un mouvement de fond vers un marché plus transparent et sécurisé. Mais le succès de cette réforme dépendra désormais de trois facteurs : la stabilisation du système numérique, la coordination entre les institutions partenaires et l’adhésion effective des professionnels et des citoyens.
El Mahdi Moukni, directeur VO de Toyota Occasions, y voit «une dynamique déjà perceptible, mais qui doit se consolider dans le temps pour atteindre son plein effet». En toile de fond, cette réforme illustre la volonté des autorités de faire du numérique un levier de gouvernance et de confiance économique. Reste à transformer l’essai : passer du cadre à la pratique, et de la vision à l’efficacité.
Moulay Ahmed Belghiti / Les Inspirations ÉCO
 
				






