Véhicule d’occasion: le marché du second-hand en quête de structuration

Avec plus de 775.000 mutations enregistrées en 2024, le marché du véhicule d’occasion s’impose comme la principale voie d’accès à la mobilité individuelle au Maroc. Mais ce secteur vital reste dominé par l’informel, pénalisant les finances publiques et freinant la professionnalisation de la filière automobile. Entre opportunités économiques, enjeux de transparence et pistes de structuration, le Maroc est à la croisée des chemins.
Le marché marocain du véhicule de seconde main a franchi un record historique en 2024 avec 775.121 mutations, soit une progression de 28,5% par rapport à l’année précédente. Ce volume représente plus de 70% des transactions automobiles du pays, loin devant les 176.000 immatriculations de véhicules neufs enregistrées la même année.
Pour de nombreux ménages, l’achat d’un véhicule d’occasion reste la seule option viable, dans un contexte, toujours marqué par la hausse des prix, les délais d’approvisionnement des véhicules neufs – encore longs dans certains cas – et les contraintes budgétaires.
Ce dynamisme ne se limite pas à la mobilité individuelle. Comme le souligne Sanaa Zagouri, directrice générale d’Autocaz, qui est considéré comme le leader des entreprises structurées du secteur, le marché du véhicule d’occasion «contribue directement à l’économie nationale à travers les taxes parafiscales, la TVA sur les prestations de reconditionnement, l’après-vente et la création d’emplois dans la distribution, la logistique ou les ateliers.»
Une structuration encore embryonnaire, un potentiel sous-exploité
Malgré cette vitalité, le marché reste marqué par une structuration partielle. Selon Thibault Paland, directeur général de Renault Commerce Maroc, «98% des ventes de véhicules d’occasion ont été opérées hors des circuits organisés». Le reste des transactions, moins de 2%, passe par des opérateurs structurés, qu’ils soient indépendants ou rattachés à des concessionnaires de véhicules neufs. Ce constat est, en effet, partagé par tous les acteurs professionnels que nous avons interrogés.
Abdelouhab Ennaciri, président de l’Association de importateurs de véhicules au Maroc (AIVAM), va même plus loin : «moins de 1% des transactions passent par des canaux structurés».
Ce déséquilibre engendre une perte de recettes fiscales considérable. Le marché du second hand est estimé à plus de 85 milliards de dirhams, mais reste essentiellement informel. Les ventes échappent aux dispositifs de TVA, d’impôt sur les sociétés ou de taxation sur la marge, alors que les opérateurs formels, eux, s’acquittent de ces obligations. Khaled Salim, DG de GlobalOccaz, rappelle que «cette situation entraîne des pertes importantes pour l’État en matière de TVA et d’IS», et alimente une concurrence déloyale.
L’informel, principal frein à la régulation
Tous les acteurs s’accordent sur un constat : l’informalité massive constitue le principal obstacle à la structuration du marché. Les transactions se font souvent entre particuliers, avec des documents limités à une simple légalisation d’acte de vente, parfois par procuration. Aucun contrat formel, aucune traçabilité technique ou historique du véhicule n’est garantie.
Pour Bennacer Boulaajoul, directeur général de la NARSA, cette informalité rend difficile le contrôle de la sécurité des véhicules et empêche la formalisation fiscale. La NARSA s’efforce de renforcer le cadre officiel en digitalisant les processus administratifs, notamment avec le lancement de la plateforme mutationvehicule.ma.
«Notre objectif est d’instaurer plus de clarté, de traçabilité et de confiance au sein de ce marché essentiel , souligne-t-il.
Outre le vide juridique, plusieurs professionnels déplorent l’absence d’un système national de valorisation des véhicules. Aucun référentiel officiel n’existe pour encadrer les prix, à l’instar de l’immobilier. Cedric Veau, directeur général de Bamotors Maroc, estime que «l’absence d’une cote comme l’Argus empêche une transparence des prix et pénalise les particuliers». Sans cet outil, les marges appliquées sur certains modèles s’envolent, au point de parfois approcher les tarifs de ceux des véhicules neufs, dans un contexte d’offre inférieure à la demande.
Des initiatives privées en quête de reconnaissance
Face à cette réalité, les distributeurs formels tentent de structurer une offre alternative. Toyota, Renault, Autocaz, Stellantis, GlobalOccaz ou Kia Occasion ont développé des programmes VO certifiés intégrant reconditionnement, garantie, accompagnement administratif, voire financement. El Mahdi Moukni (Toyota Occasions) y voit un levier stratégique de fidélisation.
Pour Ziyad Kalam (Stellantis), «le VO est un axe de développement stratégique aussi bien en matière d’inclusion que de dynamisation du réseau». Mais leur poids reste marginal dans un marché dominé par les petits revendeurs indépendants ou les réseaux informels. Comme le rappelle Thibault Paland, «il est urgent que les acteurs de la filière automobile saisissent cette opportunité pour professionnaliser la filière au bénéfice des clients».
Vers une régulation progressive mais indispensable
Pour structurer durablement le secteur, les professionnels convergent vers plusieurs recommandations : d’abord, mettre en place un cadre réglementaire clair qui protège le consommateur face aux risques de fraude. Ensuite, imposer la déclaration de toute transaction dépassant un seuil annuel (par exemple trois véhicules par an, comme le propose GlobalOccaz) afin d’identifier les revendeurs réguliers et les intégrer au système fiscal.
L’amélioration de l’accès aux données techniques et administratives, la simplification des démarches de mutation, l’encouragement à la formation des opérateurs, et le développement de référentiels de prix certifiés sont autant de leviers cités par les acteurs interrogés. Enfin, l’implication continue des institutions publiques, en particulier la NARSA, est jugée essentielle. Le rôle de coordination entre les ministères, les acteurs privés et les agences de contrôle doit permettre de mettre en place un écosystème fiable, moderne et compétitif.
Une transformation à portée de main
Le véhicule d’occasion n’est plus un segment marginal : il est désormais au cœur des enjeux de mobilité, de compétitivité et de fiscalité au Maroc. Mais son avenir repose sur sa capacité à sortir de l’informel pour intégrer les standards de qualité et de transparence attendus par les consommateurs. La mutation est en cours, mais elle nécessite une volonté politique claire et un accompagnement renforcé. Car structurer le VO, c’est aussi moderniser l’ensemble de la filière automobile marocaine.
Moulay Ahmed Belghiti / Les Inspirations ÉCO
 
				






